vendredi 6 septembre 2013

DARWIN - POETE




 Mon île, ma vie, mon sucre, mon alcool, mon ivresse, mon horloge, mon histoire, ma merveilleuse, mon étoile brûlante, mon échappée, ma musique,

Il y a combien de mondes en nous ?
Ceux qui sont à l’extérieur en convoquent d’autres à l’intérieur ?
Passer de l’un à l’autre relève d’un sport de l’extrême ?
« La poésie est un sport de l’extrême » ? Où est-ce que se joue ce sport?

La tortue vit dans l’eau mais respire dans l’air. Passe-t-elle, elle aussi, d’un monde à un autre ? Visiblement oui. Mais que voit-elle et que sait-elle de l’autre monde qui la fait respirer ? C’est celui qui la traque. Celui qui pille son nid, qui vole ses œufs. Celui qui la pêche et qui la mange.
Mais c’est aussi celui qui va la protéger, qui va l’élever pour qu’elle se reproduise. Qui va tenter d’empêcher sa disparition. Celui qui va se pencher sur elle, avec ses yeux ses mains et son cerveau, et essayer de la comprendre, de la connaître.
Nous passons nous aussi d’un monde à l’autre sans arrêt. Le voyage n’est pas le seul véhicule qui peut nous transporter, la culture non plus. D’autres réalités plus infimes nous enlèvent et nous rejettent sur des plages où nous choisissons quelquefois de revenir, quitte à devenir des inconditionnels de ce territoire. La musique, les couleurs, les fragrances, les rencontres, les autres, l'autre, l'amour, la vitesse, l'autre encore, l'autre toujours, les autres, nombreux, et l'amour encore, l'amour encore, l'amour encore, la musique, la lumière, la salive, un autre amour encore, un autre amour encore. Et nous allons dans une seule journée traverser des quantités impressionnantes de planètes, de galaxies, de mondes, et ce sera notre plaisir, notre besoin, notre condition, notre conscience nécessaire, indispensable. La poésie est indispensable à la vie.

 Passer d'un monde à un autre. C'est ce que je fais depuis mercredi. Les rives du fleuve se mélangent et la rivière devient un lac, et les rives un continent. Où suis-je?

"Et le pêcheur raconte

"Le garçon qui était là sur cette plage de Kanuméra avait des yeux tellement ouverts qu'ils en buvaient le reflet des vagues. Il m'écoutait, il m'écoutait, et ne parlait jamais. Une question peut-être, je me disais une question peut-être pourrait l'aider? Mais l'aider à quoi? Est-ce qu'il est nécessaire de parler? De dire? Un soir j'ai répondu en le regardant à une question que je me pose depuis longtemps " D'où est-ce qu'on vient?"

Le garçon s'est mis à parler:

Je suis né dans un pays où les enfants avaient faim tous les jours et à tous les repas. Je suis né dans ce pays où la faim imposait les limites de l'amour, de la solidarité, de l'entraide, de la réflexion. Je suis né dans ce pays où les familles ne peuvent exister, où le frigo, toujours vide, est tellement vide, qu'il n' y a de frigo nulle part dans la maison, qu'il n' y a pas de maison, qu'il y a juste une natte étendue sur le sol où chacun se couche avec un couteau dans les deux mains. J'ai commencé à écrire dans ma tête la nuit. Ma solution, mon sandwich, ma survie, je les ai trouvés dans ce que je me disais dans ma tête. Je me suis inventé un autre monde. Un monde où quelqu'un m'attendait. Un monde où quelqu'un m'aimait. Je ne dormais pas, j'écrivais, j'écrivais. Bien sûr je ne sais pas écrire. Alors je courais tous les matins, avec la peur d'oublier ce qu'il y avait dans ma tête la nuit. Est-ce que le réveil allait tout effacer? Effacer son visage? Effacer sa respiration? Effacer la texture de sa peau? Oublier le son de sa voix? Oublier le refrain de son rire? Qui pourrait m'aider? Alors on m'a parlé d'un type qui venait le matin dans ce bar. "Lui il sait écrire?" Mais est-ce qu'il saurait écrire dans ma langue. Je lui ai parlé, raconté. Je lui ai appris ma langue. Il m'a appris à écrire."

A toi à qui je parle, à toi à qui j'écris, toi qui me chuchote à l'oreille, toi qui me chante sur les lèvres, toi qui m'adoucit, qui m'apprivoise, qui m'endort, qui me réveille,

A demain