dimanche 19 janvier 2014

AN 0 - VOUS ACTEURS

 

Elle est là. Depuis toujours. Elle marche sur cette plage. Elle va. Elle va vers lui. Le sable blanc de Kanumera l'aveugle. Elle distingue la silhouette du gamin. Mais devant, sur la fine courbe qui sépare l'eau du sable et les mêle en un pépiement bruyant de sardines argentées, un bâton planté l'arrête.




 Depuis toujours, depuis qu'elle passe son temps dans le silence, ils la regardent. Ils ne la surveillent pas, ils la protègent. Ils ont seulement les yeux posés sur elle.






Imaginez.


Imaginez, vous mes acteurs pourquoi je vous demande le silence. Le gamin qui est devant elle et que personne ne voit sur la photo, est assis sur le tronc couché du coco mort depuis des millions d'années. La mouette est à côté de lui. Il regarde la belle jeune femme s'avancer. Il l'attend depuis si longtemps. Il lui a écrit tant de lettres, de jours et des lettres qui filaient sous ses pieds fragiles. "Ma merveilleuse, mon île, ma douceur sur la langue, mon orchidée, mon voyage, mon sac, mon encre bleue, mon encre inépuisable qui coule de la bouche invisible de ce stylo sans réserve et qui n'arrête plus d'écrire, et qui écrit encore et encore. Jamais aucune étoile ne m'avait couvert de cadeaux. Jamais aucune chanson ne m'avait à ce point chanté et couvert de cadeaux. Jamais aucun silence ne m'avait couvert de cadeaux tous plus immenses les uns que les autres, ceux pour écrire, tous qui se bousculent et se complètent pour peindre et dessiner, lire et suspendre et se montrer, bijou caché bijou collé, bijou noué, bijou lavé et lettre soigneusement rêvée qui vient brûler le coeur de mon existence, soulever le centre de mon âme et m'emporter."

La tête entre les mains, il voit le bâton dressé devant la belle jeune femme. Depuis qu'il l'attend ce bâton semble si dérisoire, barrière si fine que tout passe au travers, d'un côté de l'autre, frontière inexistante, menace en déséquilibre. Pourtant elle s'est arrêtée. Elle est là, tellement là que c'en est douloureux. Derrière elle, les cris, devant elle le bâton.

Voilà pourquoi vous mes acteurs, je vous demande de parler, d'écouter et de ralentir, ralentir, d'essayer de voir, de voir avec vos yeux, de voir vraiment l'invisible, d'entendre les sirènes et de donner la parole aux damnés de la terre.

Mon île, ma magnifique, ma musique, mon cuivre et ma fleur rouge, c'est toi qui es là sur la plage blanche de Kanumera. Regarde sur ta droite il y a la baie ronde et frémissante de risées contraires, sur ta gauche les cocotiers et les maisons des Comagnas, la barque de Philémon, et sur le chemin, qui arrive, le gamin aux feuilles de papier. C'est un pays où les blancs sont noirs, où les noirs sont blancs, où les amoureux n'ont pas d'âge, où les enfants ne se posent pas de question sur leur couleur.

A demain

Demain quand nous jouerons Le Clan Pêcheur,

Demain quand nous jouerons