lundi 3 février 2014

WHARF-THEATRE KUNIE-FERRY

 Mon île, mon quai, mon violoniste sur la jetée, tout au bout du grand wharf, maison de bois flottant où tu embrasses éperdument, ma merveilleuse, sur la pointe des pieds, ma magnifique avec tes mains dans les pins colonnaires, les doigts dressés dans tes cheveux, mon héroïne, ma drogue, ma princesse noire, ma vierge blanche, mon paresseux hippopotame rêvant d'Italie, de Florence, de peinture et de sculpture, mon cheval noir galopant dans mes nuits, mon réveil submergé de musique liquide aux notes aigües, pointues, ballerine étonnée dans son manège éternel... mon île, la scène s'ouvre... tes pas...





 SCENE ...

 LUI: La houle a roulé toute la nuit. Cette rythmique ronde et sourde m'a laissé sans sommeil. J'ai vu ses ancêtres. Son premier ancêtre. J'ai vu quand ils l'ont enterré dans le rocher dans la mer. Ils sont arrivés en chantant. Ils déroulaient les tissus, d'abord les feuilles, les tortues, les geckos, les mekouas, les mulets. Son premier ancêtre. Debout sur la plage, ils lui chantent leurs chansons intimes. C'est à lui qu'ils viendront demander pour la pêche à la tortue. C'est son "caillou". C'est à lui qu'ils offriront un igname, un tabac, des feuilles. Il posera l'offrande sur le caillou, il crachera les feuilles qu'il a mâchées, et il lui parlera. Il lui demandera de ne pas revenir les mains vides de la pêche. Puis, quand le soir arrivera, à 50m du caillou ils feront le rituel pour partir le lendemain. Personne ne doit le savoir. Seul le caillou sait. Le caillou, cet ancêtre avec lequel ils communiquent et qui, lui, communique avec la mer, les poissons, les tortues. Demain matin, le chef de clan viendra sur la plage, scruter le sable, pour y chercher la preuve qu'ils feront une bonne pêche: les traces de la tortue. Seul lui, le chef de clan, a le droit de venir voir. Quand il verra les traces il dira: "C'est bon on peut partir". Mais aujourd'hui, la tortue n'a pas laissé de traces. "On verra ça demain". Ils attendront toute la journée.





LUI:
Le temps, qu'est-ce que c'est le temps? 

Le coup de vent a balayé le bord de l'île. LUI est toujours debout. Mais il doit lutter contre la force brutale de l'Alizée. 

 Je regarde vers Ouameo. Je sais qu'elle est là-bas. Je regarde et je devine ses mouvements. Je cherche ses yeux. Je la vois toujours de dos, mais elle se retourne. Elle se retourne et son regard éclaire le monde devant moi.





LUI: Depuis que je suis seul dans l'île, j'ai oublié que je suis blanc. Seul blanc au milieu des kanaks, j'ai oublié que je suis blanc. Je me sens un autre. Je ne me vois plus. Je suis un autre, enveloppé de leur culture accueillante, chaude et généreuse. Quand par hasard à l'intérieur d'une maison, d'une case, je croise mon reflet, je ne me reconnais pas. Seul le chef de clan me rappelle toujours que je suis blanc.

LA FEMME BLANCHE: Il faut t'habiller aujourd'hui. Tu dois faire impression à ton arrivée au palais de justice. Tu dois être beau, et bien habillé. Tu as compris. Tu dois faire impression. C'est le premier jour de ton procès. C'est cette première impression qui compte. Si tu as encore un peu de raison, habille-toi. Réagis. Bouge toi un peu nom de Dieu...


LUI: Mon île, ma merveilleuse, ma magnifique, où étais-tu, où courais-tu, où vivais-tu, où dormais-tu...


A demain