dimanche 9 mars 2014

DEVENIR NOIR - DEVENIR MON ILE

Le gamin s'avance dans l'atelier que les enfants désertent. Elle est là. Il peut lui parler:









 "Je t'écris tous les jours, 
mais,
mais...  Je suis jaloux du soleil. Tous les jours je t'écris mais je craque quand le soleil se lève. Je t'imagine, toi si belle, toi les yeux pleins de sommeil, toi les lèvres entrouvertes sur l'air frais du demain, toi qui bouges un peu l'épaule et soulève ta hanche, droite et souple et douce et chaude sur le lit du tissu jaune où s'éveillent les tâches marrons, les tortues de nos fleuves.
Je vois le bout de ton aile.


Oui, toi qui m'emmènes vers mon île tu assouvis mes fantasmes, tu donnes à boire à mes rêves à ma joie, toi, l'oiseau noir qui ronronne, tu m'emmènes vers elle, et c'est là que je me confie.
Oui, jaloux, du soleil, de l'air que tu fends quand tu marches, de l'eau que tu bouscules de tes cuisses quand tu avances vers les heures qui s'écoulent. Jaloux de l'océan que tu transperces quand tu sors ton petit nez d'île cachée de dessous les abysses. Jaloux car tu me manques. Jaloux parce que le jour se lève malgré ma rage. Jaloux parce que tout respire malgré moi. Oui la vie continue alors que tu vis, mon île, et que je ne te vois pas. Jaloux? Qu'est-ce que c'est ce jaloux? Rien, c'est rien, un enfant? C'est tout? Un enfant qui donne? Qui se donne? Qui donne tout ce qu'il a? Non c'est moi, juste moi. Oui, mon île, ma merveilleuse, ma magnifique, jaloux mais souriant, souffrant mais résistant, un gamin, un Capitaine,  un gamin! Un gamin qui est venu te chercher au milieu de cette immensité. Un gamin, un vieil homme, un musicien, un amoureux, un invisible, un électron, un noir, un blanc, un homme, un gamin, un capitaine... Viens.


Elle le regarde avec son sourire lumineux. Il s'effondre comme un lézard impatient. Ses dents s'agitent dans le sourire qu'elle lui tend. Il lui dit:
"Tu es tellement plus forte que moi. Regarde, je crois t'emporter et c'est toi qui me soulèves, je crois tout te donner, et c'est toi qui charges mon coeur, mes bras, mon souffle. Comment tu fais pour être aussi forte. Tu es tellement belle. Que tu es belle."
Elle est là. Souriante. " C'est pour toi que je le fais. C'est pour toi. Même cette phrase j'aurais pu la dire. C'est pour toi."
Et comme à chaque fois qu'ils ont pu se parler, il voit la profondeur de son amour. Elle est partie déjà. Il lui dit, mais peut-être qu'elle ne l'entend pas: "Je sais comment tu vis. Je sais comment tu m'aimes. Je te comprends et je sais tout. Je sais, et j'imagine ce que tu vis, comment tu pèses un geste puis l'autre, un regard puis un autre et que tu es totalement avec moi. Je sais la profondeur de ton amour. Je l'ai en moi, c'est ce qui me conduit chaque seconde vers toi. Je viens. Tu t'en vas mais tu es là toujours. Je t'écris tous les jours mais je t'entends tous les jours. Je t'écris tu me parles, je te parle, je te réponds, puis je t'écris et tu me parles et nous allons ainsi tous les deux, étalant dessin après dessin les couleurs de notre vie, de notre destin. Remontant chaque pierre l'une après l'autre, batissant tous les deux une oeuvre jamais vue, une histoire jamais vécue par qui que ce soit. Une histoire unique au monde. Une histoire qui n'a pas de référence, pas de comparaison possible, une histoire qu'on invente et réinvente chaque seconde, et qui s'ajuste à notre force, notre profondeur à tous les deux, notre fierté, notre intégrité, notre honnêteté, notre sérénité, notre immense émotion, notre immense amour. "

Dans cette histoire que ce livre raconte, il y a quelque chose qui n'est plus de papier, plus de légende, plus de fiction. Il y a quelque chose que personne ne comprendra jamais et qui fait la grandeur et la force des personnages. Oui ils existent, ils sont tous en moi, pour toujours, ils y vivent, ils y grandissent, ils se battent et s'aiment en moi, et en mon île, ma merveilleuse. Qu'elle est belle... Oui la vie est une magnifique aventure quand nous la serrons tous les deux entre nos doigts croisés, quand nos yeux plongent les uns dans les autres et que nos nez entrent l'un dans l'autre... Oh mourir alors dans cet état de grâce. Et la mort trouve sa place dans cette vie.


A tout de suite