LA FILLE – AGNES
J’ai fait un rêve. Les forêts
vertes, l’eau bleue, les cimes blanches, et la lumière.
Dans la chair que mon père m’a
donnée, des tics électriques secouent les muscles de mon visage. La fureur
m’envahit. Je comprends que devant lui, je ne peux pas ressentir ce qu’il vit.
Je le comprends, mais je ne vibre pas comme lui. Même en m’incarnant dans les autres
personnages qui l’entourent, et racontent son histoire, mon corps me domine et
bouche l’horizon. Je suis cet homme-héros prisonnier de ses murs, cette
servante écrasée, je suis cette mère lucide, qui laisse son âme s’envoler dans
le soulagement, ce père aveuglé par la transparence de ses vitres, qui dessinent
le monde au travers de leur filtre de sable. Toi ! Je suis venue pour sentir
comme toi, et je suis envahie par les émotions… Les images se brouillent. Je
vois soudain, plus nettement, ton visage irradier l’espoir dans un sourire, un
bouquet à la main. Tu cours devant le mur d’un grand théâtre. C’est ça que je
veux.
Oui, la vie est dure, mais
l’amour triomphe de tout ! Viens et regarde !
LA FILLE – AGNES
Oui j’ai ouvert une porte. Tout
au fond de ce corps d’Agnès, je savais ce qui arriverait. Ils ne voient
rien ? Ils n’ont rien vu ? Le vide ? Oui j’ai besoin de partir
maintenant. Quelque part dans ma chair, le sac est plein. Ce que j’en ferai n’a
pas vraiment d’importance. Ce qui compte c’est ce que j’y ai mis. Ce qu’on a vu
ensemble, ce qu’on a partagé. Cette histoire qu’on a rêvée, tous ici ce soir,
et qui nous laisse entre le rêve et la réalité. Mais… Vous savez, quand on n’a
pas réponse à des questions qui se posent, on échafaude des hypothèses qui
peuvent être pires que la réalité. Oui, ce sera ma fin, ni triste ni gaie,
juste une immense question sur ce que nous avons fait.