dimanche 17 août 2014

UNE PETITE CHANSON, UN PETIT PAPILLON.



CLAN PÊCHEUR

 Extrait... La Rencontre


Ils l'ont tous rencontrée: le gamin qui vient de Thaïlande, le pêcheur qui vient de Californie, le violoniste qui vient de Corse, Capitaine Sauvage qui vient de Papouasie, et moi qui viens de nulle part, tous en des endroits et des temps différents. Et chaque fois ça donnait quelque chose comme ça...

Sa grand-mère l’attendait contre la rampe du wahrf. Quand elle a freiné le camion, sur le gravier de corail devant le pont, elle a baissé la tête. Elle a laissé ses cheveux me dérober son visage. Je lui ai demandé de m’avancer jusqu’à Kanumera. Elle ne m’a pas répondu. Elle parlait dans la langue à sa grand-mère. La vieille a ouvert la portière. Elles négociaient quelque chose. Je ne comprenais pas quoi. Je me disais elle va bien finir par lever les yeux sur moi. Et puis j’ai compris. « Attends, crétin, attends, pourquoi te presser, tu ne vois pas que c’est là que tout existe, dans cet instant ? ». J’ai attendu. Muet, le regard braqué sur elle, j’ai attendu. C’est l’histoire du temps vous comprenez. Laisse le temps faire ce qu’il a à faire. Elle maintenait sa tête tournée à l’opposé, et je priais pour qu’elle me regarde. Regarde-moi, regarde-moi. Tout ce que je sais c’est que je serais resté éternellement. J’étais arrivé. Tout autour du camion rouillé, des dizaines de papillons violets tournoyaient et valsaient dans la musique de nos bouches silencieuses. J’avais la main posée sur la carrosserie, et l’un d’eux s’est posé sur mon doigt. Il a refermé ses ailes soyeuses et s’est tu lui aussi. Je l’observais agiter ses minuscules antennes qui me sondaient. Il est resté longtemps. Il avançait sur ses fines béquilles noires et semblait reconnaitre l’endroit. Elle est sortie lentement, quittant le siège brûlant. Elle a regardé ma main. « Jamais un papillon ne s’est posé comme ça, sur moi! ». J’ai avancé la mienne et l’insecte éphémère a traversé l’espace jusqu’à son index. Nous attendions que quelque chose se passe, bien certains cependant, que ce qui devait se passer, était en cours. « On dirait un mariage », j’ai murmuré. « Je n’ai jamais fait ça », a-t-elle soufflé. « Moi non plus», retenant l’espace pour que plus rien ne change. Pour que tout ce qui était là, sur ces murmures, confirme bien que tout était là, et que plus rien ne manquait à la vie toute entière. Et que tout suffisait à ce tout, où rien n’était en trop, où il ne manquait rien. Le temps pour nous, notre ange gardien. Comme je l’aime, bien plus encore que le futur ou le souvenir, oui, nous en sommes là ma merveilleuse, celle que j'attendais, tu m'as tout appris en un éclair de ton mouvement. Moi aussi je suis parti me cacher pour pleurer. Elle a crié « Vous savez ce que ça veut dire Kanumera ? Le dessous du fond d’où vient l’amour ! ». Ah oui. L’amour. Et j’ai passé le reste de mes jours à côté d’elle, en elle, elle en moi, pour toujours. « Alors, vous montez ? ». "C'est quoi le nom à moitié effacé sur la portière?"

Ouaméo.

Et tous tombaient invariablement sur Simon qui racontait son histoire:

SIMON: Tu peux laisser ton bateau dans la baie pour la nuit, si tu veux, mais après tu t'en vas. Et tu restes sur ton bateau. Tu viens pas sur la plage.
CAPITAINE SAUVAGE: Oui...  la nuit... c'est comment le nom de cette baie?
SIMON: Ouaméo. Ici c'est Ouaméo. Mais toi, le blanc, tu n'as pas acheté la carte? C'est toi qui l'as dessinée, pourtant. Que tu es venu nous casser les oreilles avec tes grandes phrases, et ton grand géomètre, et fais ceci, et fais cela... Si tu t'en sers pas, ça sert à quoi alors de nous avoir mesuré l'île dans tous les sens pour la diviser et y amener tes déportés?




A demain mon île, mon air, ma gamine, ma magnifique, ma jungle tropicale, ma douce orchidée, ma terre, mon océan, ma tortue, mon margouillat, mon velours sous le doigt, ma peau, ma chair, ma vie.