vendredi 21 mars 2014

MARATHON-THEATRE et APPEL A SOUTIEN


 Courir, courir dans le jour qui se lève, courir sur le sable fin de la première vague, courir le coeur au calme et le souffle en paix, courir vers ce qu'on a jamais fait, courir encore sur un plateau tout neuf, un plancher sur lequel les chansons dansent sous les yeux des nouveaux spectateurs, courir sur les lames d'une scène toute neuve, sous un chapiteau tout neuf.


 Conduite multiplie les objectifs, multiplie les rêves, multiplie les risques et court, court, avec ses jolies jambes, ses muscles frais, son coeur sans frontière, ses poumons sans censure et la tête dans les étoiles.



Renseignez-vous si vous voulez soutenir l'action de notre compagnie. Sur le site, en envoyant un message, ou en téléphonant au 04 66 74 38 46.

A demain 

jeudi 20 mars 2014

LETTRE DES ÎLES

 Entre les étoiles et les coquillages, entre les dernières nouvelles des îles et une éternité couchée sur sa peau, entre la lumière de son apparition et l'éblouissement de l'attente, entre le balancement hypnotique des jours et la fulgurance du millième de seconde, entre l'écume de la vague et l'horizon déchiré par la brume, notre histoire file son encre et imprime son empreinte sur les tissus jaunes.


Comment ne pas voir partout que le théâtre est dans la lumière, comment ne pas voir que dans la couleur bleue de cette patte de crabe une fenêtre s'ouvre sur le merveilleux, comment ne pas voir dans ces rayures sur une carapace abandonnée un imprimé exceptionnel pour un tissu de Pacamambo, comment ne pas retrouver la couleur du tapis dans les nuances de ces morceaux de corail mort et de coquilles vidées, comment ne pas voir le lien entre Pacamambo et Le Clan Pêcheur quand tout afflue dans le même lit, dans la même scène, sur le même plateau. Partager ces couleurs, cette lumière, mon île, partager ce don que tu me fais de ces rayonnements cosmiques, de ces mots qui se rencontrent au fil des jours, Kanumera, Pacamambo, Kunie, du noir et du blanc, du vert et du rouge, des pierres poreuses aux carapaces vides. Ce bleu est magnifique. Ma merveilleuse, mon poème, ma musique, mon violet, mon émeraude, mon diamant, mon orchidée, me voilà immergé dans la double histoire Pacamambo-Clan Pêcheur, les pieds baignant dans la nôtre, la tête dans la galaxie de nos origines à tous les deux. Grâce et volupté, les mille feuilles de ma mémoire explosent. Bonjour.





La goélette surgit de la brume, derrière sa voile de sable cru, le soleil de l'île flashe un éclair qui grille la rétine et laisse sur son voile une silhouette crépitante qui s'avance sur l'herbe verte d'un matin radieux. C'est toi. Tu es là, je danse, je danse, je danse, je danse....

dimanche 16 mars 2014

SURTOUT POUR LES CHANTER, MES PERSONNAGES





Ils n’ont rien pas grand-chose
Des bottes et les pieds nus
Tous ils avancent
Tous ouvrent un chemin.

Ils portent les noms des visions aperçues
Celles que je tais que je garde en secret
Si j’en parlais on m’enfermerait
C’est moi tous un peu moi dans tous.

Ils regardent tous l’horizon
Assis debout trempés
La pluie le vent la glace
Ils sont chez eux partout.

Ils regardent tous le même point sur l’horizon
Les mêmes cheveux qui bougent autour des yeux
Les mêmes yeux qui se tournent vers eux
La même île, la même femme.

Sans elle ils se seraient tus
Ils n’auraient plus rien dit,
ils n’auraient rien écrit.
Elle les a arrachés à leurs sirènes
Aux armures d’acier qu’ils s’étaient clouées sur le torse
Ces démons qui les poursuivaient.
Elle leur a rendu le courage d’être et plus, la force de devenir.

Depuis quand ils se retournent la nuit
Ils ne forment plus qu’un.
Moi.
Parfois le mouvement du rêve ou du sommeil me décompose à nouveau.
Mes yeux s’ouvrent, elle est là, et nous voici tous fondus encore en ce seul corps qu’elle réanime chaque seconde, ma merveilleuse.

A demain

PACAMAMBO VISUEL


samedi 15 mars 2014

JE RACONTE DES HISTOIRES



J'écris des histoires pour vivre avec mes personnages. Comme moi ils n'ont rien. Comme eux je ne possède pas grand-chose. Ma guitare et mon chemin. Ils sont tous un peu moi et je suis un peu chacun d'eux. Comme eux je suis nomade. Comme moi ils se moquent du temps, et ne se frottent qu'à la nature. Comme moi ils ont leur île, quelque part sur l'océan, quelque part dans un pays, quelque part dans une maison. Une merveilleuse qu'ils ont rencontrée grâce à elle et à son cheval noir, une magnifique qui a des forces grosses comme des planètes et des chansons à vous faire pleurer. Comme moi ils l'aiment leur île comme ils n'avaient jamais osé imaginer qu'ils seraient capables d'aimer. Ils ont dépassé les mille et une vie de l'amour et sont arrivés là. Comme moi ils racontent leur histoire. Ils "lui" racontent leur histoire. Ils lui écrivent tous les jours. Ce que personne ne croira jamais, ne voudra jamais croire, c'est que ces personnages existent. Et ma merveilleuse existe. J'existe bien moi.





Ils ont arrêté le violoniste. Il jouait sur le port, les passants jetaient des pièces, les flics l’ont embarqué. Il a besoin d'argent pour rejoindre son île. Il a passé la nuit en taule. Au matin sa cellule était couverte de papier blanc :

« Je ne sais pas écrire. Je t’écris tous les jours. Mais je ne sais pas écrire. J’écris des histoires pour te parler. J’écris des histoires pour te raconter notre vie. J’écris des histoires que j’ai volées dans des mouvements furtifs, dans des millièmes de seconde, quand reste seule l’image sur la rétine, et que je la contemple à l’intérieur de ma mémoire. Je ne sais pas écrire. Je ne sais pas dessiner non plus. Mais je te dessine chaque jour. Chaque jour je prends du papier blanc et je te regarde. Je regarde la feuille blanche, je la regarde longtemps. J’essaie de trouver sa personnalité. Cette feuille n’est pas n’importe quelle feuille blanche. Je l’ai choisie et c’est elle qui va me guider. J’essaie de trouver les défauts du papier. Je cherche les imperfections comme j’adore tes imperfections. Je les colle à celles de ma feuille blanche et je cherche celles parmi lesquelles je vais choisir la trace où je vais poser mon doigt. Je regarde le papier, je prends de l’encre et quand je suis sûr d’avoir trouvé le point où tout va commencer, j’imbibe le bout de ma phalange et je tire le premier trait. D’un coup sans arrêter le mouvement. Je sais où relever la main. Voilà. Je commence toujours par le même tracé parce que juste en dessous et je sais exactement où, je vais poser mon ongle, pour dessiner le pli le plus fin, le plus arrondi, le plus attendrissant, le plus humide, le plus brillant. Le bord de l’œil. Je ne le rate jamais. Maintenant sur la feuille de papier blanc il y a quelque chose qui commence à vivre. Tout autour de ces deux légères traces grises, noires et bleu foncé, j’aperçois ton visage. Je pourrais m’arrêter là. Pour moi c’est suffisant. Je te vois. Tu es là, je te parle, tu me réponds, tu plisses tes pommettes, tes cheveux flottent dans tes mouvements. Tu ris. Ta voix enfle par instants, comme quand tu es heureuse, et qu’elle prend des inflexions soudaines et des plongées brutales tout au fond de ta gorge, puis remonte au bout des yeux et plonge à nouveau dans le ventre. Je ne sais pas dessiner mais quand je te vois si bien, je mets de l’encre sur les traits que je vois. Je prends tout mon temps pour la diriger sur ta pupille, où sa lumière plus légère donne un éclat bondissant, puis traverse mes propres yeux. Je ne rate jamais tes yeux. Je sais précisément où ils sont et ce qu’ils disent. Et ce que je sais aussi parfaitement, c’est où commence ton nez. Où il commence, où il s’arrondit, où il prend un air pointu et où il revient sous la narine et s’arrondit encore pour l’ouvrir et la faire vibrer. Je sais où est ta narine. Je la prends si souvent du bout de mes doigts. Je ne la rate jamais. Je sais parfaitement lui donner la boucle que j’aime et qui contient le secret des odeurs que tu cherches. Maintenant tu me vois, tu me sens, je te parle. J’ai pris la couleur rouge pour tracer ta lèvre. Je ne la rate jamais. Je sais où elle s’accroche au bord de ton nez, où elle va creuser ta joue. Je sais et j’y vais d’un seul trait. Tu souris. Voilà. Tu peux parler aussi. Tu souris, tu parles, tu me vois. Ton portrait je le refais tous les jours. Tous les jours je te retrouve sur un papier imparfait, plein de défauts, avec tous les petits morceaux de toi qui n’atteindraient cette beauté totale si je savais peindre ou dessiner. Mais quand je les sépare, toutes ces lignes et courbes et pointes et surfaces gonflées et creusées et coupées et qui se rejoignent et se croisent et se mêlent les unes aux autres, ajoutent une troisième dimension, puis une quatrième, puis dix, puis cent, parce que te voilà, tu es là, et tu bouges, et tu es mille, cent million de fois celle que je regarde. Je regarde le portrait fini. Au fond il n’y a pas beaucoup d’encre. Tous les traits tirés je ne les rate jamais. Je ne sais pas dessiner. Mais je connais le visage de mon île, de ma merveilleuse, ma magnifique et tous les jours je le refais et tous les jours je le réussis. Tous les jours. Tu es tellement vivante mon île. Et je suis tellement maladroit avec mes doigts, avec mes yeux, avec mes mots. Qu'est-ce que c'est ce type qui dit qu'il ne rate jamais ceci, jamais cela? Oui c'est vrai je ne rate jamais ton visage, je ne rate jamais ton corps, je ne rate jamais ta lumière, ils sont enfouis tout au fond de moi, et l'encre ne fait que les suivre.

Au matin les flics l'ont foutu dehors à coups de pieds au cul. Ils ont ramassé les papiers blancs, en gueulant des insultes à la porte que le musicien venait de passer sur le dos. Ils en ont rempli la corbeille de  l'accueil, en bas. Quelques morceaux sont tombés à côté. Lentement s'est formée une goutte d'eau salée qui a commencé à se faire une voie vers la porte. La petite goutte a grossi et la corbeille a chaviré. Les morceaux de papier se sont laissés emporter par ce petit ruisseau sauvage. Mon île, insoumise et rebelle, grosse comme une vague, un tsunami de bonheur. Tu viens me rejoindre. Et le violoniste a commencé à jouer.»

vendredi 14 mars 2014

HORIZON THEATRE LOINTAIN PRINTEMPS


Devant la mer
Devant l'océan
Devant le plateau
Devant le chapiteau
Devant ma caravane
Devant ma route
Devant ma merveilleuse
Devant ma lumineuse
Devant ma magnifique

Je pars
Tout entier
Je pars
Tout mon être
Je pars
Et je vois

Je vois que partout et à tout moment quelque chose d'inattendu peut se produire



Une tête roule sur le plateau
Le gamin la prend sur son épaule
Et comme dirait Sam Shepard "l'homme à deux têtes avance vers l'avenir"

Quelque chose d'inattendu peut se produire à tout moment
Je pars
Tout mon corps s'est envolé
Comme ce gamin qui marche sur la fine courbe entre la mer et le sable, entre le lointain du théâtre et le cyclo du ciel, entre le ciel et les cintres, entre le grill et la lumière,
Je pars,
La moitié de mon corps reste devant
L'autre moitié s'est envolée de l'autre côté.

Devant je me vois rentrer chez moi, et tu sais où ça se trouve mon chez moi. Toi à qui je parle, toi à qui j'écris, tu sais où se trouve ma maison, et quand je la cherche, quand je la perds, le poignard n'est plus un accessoire, mais un véritable couteau. La rage s'estompe et le dessin s'adoucit. Passer par là pour pouvoir aller plus loin. Facile. Facile à dire. Les secondes cruelles tombent comme les lames aiguisées des rasoirs qui guillotinent le possible, l'avenir et l'incontournable. Et si c'était le rêve qui était la réalité? Et si c'était l'impossible qui était justement le réel? Et si c'était le terrible qui était la vraie douceur?

Devant le théâtre
Devant la mer
Devant l'océan
Devant le soleil
Devant l'insolence du printemps qui camisole mon élan
Devant le théâtre, le lointain brille, le projecteur allume l'espoir

Devant le tableau germe le prochain 
Devant le théâtre nait le prochain théâtre
C'est ce qui fait l'existence
C'est ce qui fait respirer
C'est ce qui fait l'itinérance
C'est ce qui fait repartir
Partir et repartir
"partir où personne ne part"

mardi 11 mars 2014

LETTRE AUX ACTEURS


Il fallait que quelques jours passent. Que le temps de ces quelques jours, les hautes pressions des répétitions se reposent. Il fallait que je puisse voir d'un peu plus loin ce qu'est devenu le portrait que je m'étais fait sur un brouillon, dans un petit creux de ma mémoire. Depuis Septembre et tous les changements prévus et expérimentés de Vivons le Théâtre je tente patiemment de recomposer, de sculpter, de forger, de refaire, de faire naître, de faire renaître, l'équipe des acteurs qui vont donner la vie à Conduite. Je pèse, j'anticipe, je rêve, je projette, distribue, je redistribue. Il fallait que j'aie quelques temps pour reposer tout ça et vous en parler.


C'était un plaisir de voir l'alchimie des personnalités travailler devant moi, sous mes yeux, et entendre vos voix. Le découpage de Julie et l'ensemble du texte redistribué. Oui les voix des Julie sont bien dans l'harmonie que j'espérais. J'y trouve ce que j'espérais de la fermeté et la maturité sérieuse de Vanessa à l'humilité et la fraicheur de Clarice et qui les rassemble, la douceur, le timbre grave et les aigus légers de l'instinct naturel d'Agnès, son engagement puissant, quand elle chante. Je parle du registre de vos voix. Des timbres, des souffles qu'elles vous donnent à chacune, vos voix. Une étendue vocale qui s'harmonise parfaitement. Et plus risqué encore, c'était l'harmonie avec Philippe et Nathan. Mais la magie est là. Douceur encore, séduction, folie, agitation et paix, sérénité et peur. Les cinq registres se sont calés tout au long de ces jours. Et tout devient évident. Bien sûr tout ça c'est l'orchestration que j'avais préparée, mais ce qui compte c'est votre façon de travailler avec, votre manière de répondre aux indications du plateau, votre présence et votre patience, votre professionnalisme.


Maturité, douceur, fraicheur, instinct, nature, précision, rigueur, c'est toute votre équipe qui est porteuse de ces qualités maintenant. Tout au long de ces cinq jours de travail ce qui m'a animé c'est la fraicheur de votre rencontre à vous cinq, entre vous. C'est de cette alchimie que j'attendais que se dégage l'enthousiasme et l'urgence, l'audace et la jeunesse, le risque et la fermeté, l'équilibre et la vitesse. Oui j'ai senti vos attentes, et j'ai nourri de ce que je vous avais promis, les jours passés et ceux qui viennent. Une fois votre distribution confirmée, c'est un travail d'orfèvre qui nous attend. Je sais que ce que je demande, je le demande avec peu de temps pour répondre, et une exigence et une rigueur qui peut augmenter en vous la pression de la création. Mais vous répondez tous bien à ces pressions. Bien sûr les Julies ont eu la primeur des mouvements et de leur précision à venir, des chansons et des voix. C'est tout l'ensemble de la création qui sera dans ce flux vocal. Et je vous parlais aussi des silences. Nous irons dans les prochains jours travailler sur les mouvements du silence. Les creux entre les lignes. Les trous dans les mécaniques que nous aurons bien en nous. Les failles dans le manège que les Julie nous imposent.

Je rêvais que cette première création devienne le champ d'oeuvre de la constitution de la nouvelle Conduite et c'est ce qui s'est vécu. Nous avons encore cette année trois autres créations à risques variés, mais risques certains, que nous devons appréhender avec une juste mesure. C'est parti pour les épreuves Hercules que nous sommes.

C'est ce que je voulais vous dire. Plaisir, satisfaction, avenir, aventure, audace, précision, passion - oui vous êtes tous des passionnés et ça c'est bon - et création, nous allons ensemble vers un pays que je vois mais que je ne connais pas encore tout à fait et nous l'explorerons ensemble. heureux et fier de Conduite aujourd'hui, et de vous les acteurs de Conduite.







dimanche 9 mars 2014

HISTOIRE DE MON ÏLE



Oui c'est l'histoire de mon île. Quelle île? Qu'est-ce que c'est que cette île? Ecoutez bien, c'est ça, tous ces gars, tous ces hommes, toutes ces femmes qui se fondent en un seul corps, qui sont en moi et ailleurs aussi,  parce qu'ils courent tous après le même rêve. Certains s'arrêtent un moment et se questionnent, puis repartent. D'autres se disent que non, tout ça n'a rien à voir avec l'amour bien concret, un homme et une femme, mais l'île et l'océan, la terre et l'eau, Non l'amour le vrai, celui qui nous accouple et nous marie et nous fait des familles et nous fait des personnalités, des gens ... Alors, mon île vous comprenez bien qu'il n'y en a qu'une, et que si vous la croisez, vous ne la verrez peut-être pas? Vous ne la reconnaitrez pas? Et c'est encore une fois ce qui sera écrit dans la vie des insoumises de notre saison. Parce que oui mon île est une insoumise, belle, gracieuse et souriante, puissante et tenace et têtue et droite et plantée sur les vagues déferlantes. Et si légère ma merveilleuse, si douce et volcanique, acide et sucrée, bien plus douce que toute la souffrance de la vraie vie, parce qu'elle a pris en main sa propre destinée. 



Tout a commencé bien avant sa naissance. Les éléments déferlaient sur la terre et déversaient des univers entiers de sable et d’eau et de feu sur la surface des planètes. Et l’ensemble se changeait en lave brûlante et glace éternelle. Rien de rassurant ne courait autour d’eux. Pas de rue familière, pas de porte au numéro privé, pas de toit, pas de chaleur, pas de foyer.
Elle, elle se recroqueville le soir sous une couverture. Et c’est là que tout se passe.
Lui c’est à l’autre bout de la planète qu’il s’éveille quand elle s’endort.

Capitaine Sauvage regarde sa goélette. Il écrit, les fesses transies sur les pierres de la jetée :
"J’ai marché toute la nuit. Les deux pieds cassés martelaient les secondes. Je suis allé au petit matin jusqu’au marché aux fleurs. Je cherchais la beauté. Je voulais la beauté. Lui offrir la beauté. Un fruit. Une fleur. Une herbe. Un foulard. J’ai vu les bijoux les plus beaux, les pierres les plus rouges, étincelantes à ses oreilles. Les verts les plus profonds, les violets les plus transparents. J’ai vu les animaux les plus étranges, précieusement ciselés dans l’or et le diamant. Son corps  et son visage possédaient mes rétines. Tout ne m’apparaissait que sur les teintes vivaces de sa lumière. Elle était là partout. J’ai crié que j’achetais tout. Tout le marché, les étalages, les tapis, les poissons. J’ai crié et crié encore que tout devait partir jusque chez elle, jusqu’à ses pieds, jusqu’à ses mains. Que tout n’existait que pour elle. Mais, oh non, mais … qu’est-ce qui peut lui aller pour se tendre à son cou. Quel tissu peut lui rendre la vie qu’elle donne ? Quel métal peut reluire à sa peau comme sa propre vie ? Qu’est-ce qui peut faire éclater ce qui brille déjà ? Cette force invisible qui me paralysait m’a rendu avec une telle précision le dessin que je ne saurai jamais faire, le rayon l’éclairant comme dans une chambre, la peinture, le poème, l’univers que je ne saurai jamais écrire… Que mes doigts se sont vidés de la monnaie clinquante. 
Alors j’ai appelé le gamin qui la poursuit tous les jours, j’ai appelé le violoniste et son violon, l’île et l’océan, et le sable et le corail. J’ai appelé la houle et sa rumeur sous la lune, l’oursin palpitant et le poulpe souriant. J’ai appelé l’écume et le bout de bois dessus. J’ai appelé la poussière au bord de la vague qui meurt. J’ai appelé la terre, l’odeur de la pluie, la brillance de l’étoile et le vertige de la vie. J’ai tout enveloppé dans une de mes mains, sans papier, sans voile, sans carton, sans bois, sans rien et j’ai tendu le bras pour que mon geste au moins soit à la hauteur, à sa hauteur, à sa dimension. Tu vois, je voulais lui offrir ce qu’il y a de plus beau au monde. Mais quand je l’ai trouvé ce cadeau que je cherchais, c’était elle qui était là, devant moi. Peut-on faire ça ? Offrir à quelqu’un ce qu’il est déjà ? C'est donc ça l'orgueil démesuré de l'homme. J'ai tout jeté. J’ai marché tout le jour qui a suivi, et toute la nuit encore sans savoir que c’était cette balade que je lui offrais. Quand j’ai posé le pied sur mon bateau, les mains sur ma guitare et les yeux dans le ciel noir et lumineux, je lui ai offert tout ce que je voyais, tout ce que je sentais les parfums du port, l’odeur des fils mouillés, des voiles prêtes à se tendre. Je ne peux lui offrir que ce que j’ai. Qu’est-ce que j’ai ? Tout est en moi, il faudrait m’ouvrir et me vider. Il faudra bien qu’un détour de la vie demain s’en charge. Au fond qui donne vraiment ce qu’il est allé chercher ? J’ai repris la bouteille de rhum posée sur le plat-bord et j’ai gouté l’arôme et le citron. Même tout ça, tu vois, elle l’a dans son odeur, dans son goût, dans la maitrise de sa propre destinée, dans sa chair, dans sa douceur, dans le lent effleurement de ses doigts sur ma peau. Est-elle un rêve, un autre moi, une cité enfouie en moi, un monde déjà vu, une lumière allumée depuis toujours ? Oui, c’est bien ça, elle est tout ce que je cherchais, et ça… je ne peux le lui offrir, puisque c’est elle qui me l'a donné."

Capitaine Sauvage a doucement pris cette lettre entre ses doigts et il l'a déchirée, en des milliers de petits morceaux blancs et bleuis d'encre fraiche. Comme quand dans sa tête tout explose quand il est avec elle et que... Le souffle de la nuit a encore cette fois dispersé cette longue journée, cette longue nuit et ce prochain voyage. Les voiles sont tombées puis ont regagné leur place en haut des mâts. Gonflée d'un désir soudain la goélette est repartie, lui debout, lui devant, les mains sur le cordage et les yeux toujours pleins de ce même visage.

Ce visage. Non cette âme, ce monde, cet univers, cette immensité. Mon île, tu es là. Et je suis là. Viens. Quittons encore une fois les rivages ensemble, partons retrouver les flots et leur saveur salée...

DEVENIR NOIR - DEVENIR MON ILE

Le gamin s'avance dans l'atelier que les enfants désertent. Elle est là. Il peut lui parler:









 "Je t'écris tous les jours, 
mais,
mais...  Je suis jaloux du soleil. Tous les jours je t'écris mais je craque quand le soleil se lève. Je t'imagine, toi si belle, toi les yeux pleins de sommeil, toi les lèvres entrouvertes sur l'air frais du demain, toi qui bouges un peu l'épaule et soulève ta hanche, droite et souple et douce et chaude sur le lit du tissu jaune où s'éveillent les tâches marrons, les tortues de nos fleuves.
Je vois le bout de ton aile.


Oui, toi qui m'emmènes vers mon île tu assouvis mes fantasmes, tu donnes à boire à mes rêves à ma joie, toi, l'oiseau noir qui ronronne, tu m'emmènes vers elle, et c'est là que je me confie.
Oui, jaloux, du soleil, de l'air que tu fends quand tu marches, de l'eau que tu bouscules de tes cuisses quand tu avances vers les heures qui s'écoulent. Jaloux de l'océan que tu transperces quand tu sors ton petit nez d'île cachée de dessous les abysses. Jaloux car tu me manques. Jaloux parce que le jour se lève malgré ma rage. Jaloux parce que tout respire malgré moi. Oui la vie continue alors que tu vis, mon île, et que je ne te vois pas. Jaloux? Qu'est-ce que c'est ce jaloux? Rien, c'est rien, un enfant? C'est tout? Un enfant qui donne? Qui se donne? Qui donne tout ce qu'il a? Non c'est moi, juste moi. Oui, mon île, ma merveilleuse, ma magnifique, jaloux mais souriant, souffrant mais résistant, un gamin, un Capitaine,  un gamin! Un gamin qui est venu te chercher au milieu de cette immensité. Un gamin, un vieil homme, un musicien, un amoureux, un invisible, un électron, un noir, un blanc, un homme, un gamin, un capitaine... Viens.


Elle le regarde avec son sourire lumineux. Il s'effondre comme un lézard impatient. Ses dents s'agitent dans le sourire qu'elle lui tend. Il lui dit:
"Tu es tellement plus forte que moi. Regarde, je crois t'emporter et c'est toi qui me soulèves, je crois tout te donner, et c'est toi qui charges mon coeur, mes bras, mon souffle. Comment tu fais pour être aussi forte. Tu es tellement belle. Que tu es belle."
Elle est là. Souriante. " C'est pour toi que je le fais. C'est pour toi. Même cette phrase j'aurais pu la dire. C'est pour toi."
Et comme à chaque fois qu'ils ont pu se parler, il voit la profondeur de son amour. Elle est partie déjà. Il lui dit, mais peut-être qu'elle ne l'entend pas: "Je sais comment tu vis. Je sais comment tu m'aimes. Je te comprends et je sais tout. Je sais, et j'imagine ce que tu vis, comment tu pèses un geste puis l'autre, un regard puis un autre et que tu es totalement avec moi. Je sais la profondeur de ton amour. Je l'ai en moi, c'est ce qui me conduit chaque seconde vers toi. Je viens. Tu t'en vas mais tu es là toujours. Je t'écris tous les jours mais je t'entends tous les jours. Je t'écris tu me parles, je te parle, je te réponds, puis je t'écris et tu me parles et nous allons ainsi tous les deux, étalant dessin après dessin les couleurs de notre vie, de notre destin. Remontant chaque pierre l'une après l'autre, batissant tous les deux une oeuvre jamais vue, une histoire jamais vécue par qui que ce soit. Une histoire unique au monde. Une histoire qui n'a pas de référence, pas de comparaison possible, une histoire qu'on invente et réinvente chaque seconde, et qui s'ajuste à notre force, notre profondeur à tous les deux, notre fierté, notre intégrité, notre honnêteté, notre sérénité, notre immense émotion, notre immense amour. "

Dans cette histoire que ce livre raconte, il y a quelque chose qui n'est plus de papier, plus de légende, plus de fiction. Il y a quelque chose que personne ne comprendra jamais et qui fait la grandeur et la force des personnages. Oui ils existent, ils sont tous en moi, pour toujours, ils y vivent, ils y grandissent, ils se battent et s'aiment en moi, et en mon île, ma merveilleuse. Qu'elle est belle... Oui la vie est une magnifique aventure quand nous la serrons tous les deux entre nos doigts croisés, quand nos yeux plongent les uns dans les autres et que nos nez entrent l'un dans l'autre... Oh mourir alors dans cet état de grâce. Et la mort trouve sa place dans cette vie.


A tout de suite
 

vendredi 7 mars 2014

FEMME DU MONDE-THEATRE DE LA LIBERTE



"Voir les couleurs voir les formes

Enfin marcher pendant que les autres dorment"

Oui, toi ma belle galaxie penchée juste sur mon épaule, mon ange, mon étoile, tu partages tous mes secrets, tu partages mes rêves, oui, tu les rêves aussi avec moi quand je rêve, comme tu ne dors pas non plus quand je ne dors pas, comme tu ne manges rien quand je ne mange rien, comme moi tu n'as rien, tu ne possèdes rien, tu vas dans les rues de l'espace nue et armée de tes seules qualités féminines, de ta peau de femme, de ton sang rouge et si rouge que l'espace de la voûte céleste le repeint chaque jour vif éclair, avec la brillance argentée de l'étoile la plus proche, toi ma galaxie de mots d'ailes d'oiseaux étranges, toi qui bois les larmes de l'inconnu, de l'aventure, toi qui mouilles la nuit d'une émotion qui déborde, toi qui plonges ta tête explosée dans le cosmos et reviens vers moi quand le jour se lève pour s'effacer dans la couleur que le soleil impose au ciel, toi qui es là toujours, comme une femme, oh quelle femme, avec toute une force insensée logée dans le secret de tout ton être, avec ta liberté qui défonce le grillage des moustiquaires des commères de la vie, avec le sourire franc de la mère qui regarde son fils, de l'amoureuse qui pose ses yeux sur l'homme de sa vie, de la gamine qui jette un oeil sur une affiche de restaurant, toi avec le sourire clair et bien en chair de la femme qui chante, avec la voix droite et placée qui murmure des mots d'amour centenaires mais tous neufs dans ta bouche, toi qui jettes sur tes jambes un tissu que tu noues pour te faire une robe et qui deviens si belle oh tellement belle, toi la femme qui est debout et parle et dit au monde, au ciel, aux femmes et aux hommes "ne perdez pas le sens de l'existence, ne laissez pas la vie vous arriver comme un briseur de rêve, ne laissez pas le temps vous compter vos secondes, prenez le large, larguez vos chaines, ne vous retournez pas, le passé n'existe pas, seul l'élan qui vous envoie dans les étoiles a du sens, ne laissez pas votre cerveau vous soumettre à ses perversions, confiez vos secrets à vos oreilles et écoutez-les, ayez confiance en la mort car elle seule vous renverra toujours le vrai visage de votre existence, souriez-lui, ayez confiance et aimez-vous, aimez-vous vous-mêmes, ne laissez pas les regards des envieux, des jaloux, construire autour de vous les murs du mépris, ayez de la considération pour vous, de la fierté, levez vos yeux sur ce que vous faites, sur ce que vous êtes et aimez-le, choisissez votre chemin, choisissez vos paroles, prenez le vent et marchez, marchez, faites bouger l'horizon, que le monde s'arrête enfin, se pose et se questionne et vous écoute". Oui,
vous, femmes du monde, toi ma galaxie, ma trainée de poussière d'étoiles, ma vénus, mon rêve, ma merveilleuse, mon île dans le pacifique, mon étrangère, mon ange, ma moi, ma moitié, mon moi, ma celle que j'ai rencontrée, toi, la femme, la seule, celle que je ne croyais plus, celle que je n'espérais plus, l'unique, que je vois aujourd'hui enfin, perdue dans le détail d'un grain de peau, enseveli moi-même dans l'éclat d'une dent.

A toi je donne la saison des femmes libres, que l'univers les mette enfin à leur place devant l'horrible bêtise du monde sociable, à toi j'offre et présente l'inconnu, le demain, l'invisible, le profond, le tout, le moi, le toi, la chaleur de la fusion des matières, le feu consumé, la fulgurance de la lumière...