dimanche 9 août 2015

LES PLUS BELLES PHOTOS

Tu vas voir la route étroite, la nuit, qui mène à Vao. Les phares suivent les virages et le minibus accroche régulièrement le bas-côté. Je sens déjà l'odeur du bois de gayac qui brûle. Dans le parking aménagé, les véhicules sont garés sans ordre précis. La lumière est faible, et des groupes éparpillés dans le champ discutent calmement. Les enfants sont partout. Au bord de la route, allongés, les pieds sur le goudron, passant en bandes hurlantes au milieu des adultes, aidant les femmes à la cuisine, et les hommes aux grillades. Je fais mon boujour à Capea qui me reconnait. Déjà en 2008 - mon premier mariage sur l'île des pins - nous avions eu une très longue discussion quand je l'interrogeais sur son enfance à la mission, et au collège. C'était en préparation du premier projet qui n'a jamais vu le jour. La vie dans la tribu. Les cases construites pour accueillir les invités sont immenses. Comme la première fois, je vois que le théâtre est déjà là. Tout est aménagé dans l'espace pour un fonctionnement, et une circulation, simples et fluides. Dans ma main je sens le fourmillement que je connais bien. Tu vas voir les tables alignées, les tables du service, les filles qui remplissent les assiettes, les ragouts de tortue, la soupe, les salades. Je m'assois et Philémon me rejoint. Le fourmillement dans ma main s'agite et me brûle. Tu vas le voir enfin c'est sûr. Il est heureux de me voir et nous mangeons en parlant de la pêche à la tortue, de demain matin, des sardines qui ont quitté la baie de Kanumera et des maquereaux qui arrivent. Les anciens de la famille de la mariée d'Ouvéa commencent à chanter et les kunies leur font un merci avec un grand manou qu'ils enroulent autour du groupe. La lumière est très faible et tu vois qu'il n'y a pas beaucoup d'ampoules aux fils électriques tendus. Etalé sur au moins deux cents mètres autour de la maison de Capea, l'ensemble des cases ressemble à un festival de théâtre. Tu vois que les chapiteaux de Villeneuve-en-scène sont remplacés par les cases au toit de tôle, aux murs de palmes de cocotiers, aux piliers de bois dur et de pins. Tout est immense et à ta taille. Mille personnes mangent ici toute la journée. Tu vois, ils n'ont presque rien, mais tous apportent tout ce qui permet à tous de prendre tous les matins le petit déjeuner, un thé, un café, du pain. La coutume veut qu'après avoir fait ton geste, tu viens manger midi et soir. Ils sont 250 d'Ouvéa et les 8 tribus de l'île. Mille c'est peut-être un peu juste. Ils sont certainement plus nombreux. Deux mois de préparation et du travail pour tout le monde toute la journée et la nuit en plus de leur boulot quotidien. Dans ma main le petit fourmillement me fait sourire. Tu vois c'est un peu comme sur l'écran de "Clan Pêcheur". J'avais mon appareil photo dans la poche du jean. Mais je n'avais pas envie de le sortir. Je ne voulais pas le sortir. J'aurais eu l'impression de les heurter, ces femmes et ces hommes qui m'invitent dans leur jardin secret. C'est un dimanche soir sur l'île des pins, le mariage du neveu de Capea avec une fille d'Ouvea. Et je ne crois pas qu'une photo aurait pu te montrer tout ça. Mais tu étais là, c'est sûr, et tu ne quittais pas ma main. Philémon m'a ramené . On s'est donné rendez-vous sur kanumera à 6h. Il est 6 h. J'y vais. Je te montrerai la photo de Philémon. On rit tout le temps. Ce Philémon qui me fait du bien. Je ferai son portrait... Et je n'ai rien pour dessiner. Un peu accaparé par la préparation de l'atelier, j'ai oublié d'emporter avec moi le papier, le crayon. Mais tu le verras.

A demain...